Éditions Corti

A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z

Arche

Miguel TORGA | Ibériques (2000)
Traduit par Claire Cayron

 L’Arche de Torga s’est échouée sur quelque rocher dressé de la chaîne du Marao, au cœur de son Trás-Os-Montes natal. Comme l’Arche biblique, elle a vocation de sauvegarde, mais elle l’assume en toute originalité. Elle sert de refuge à une étrange population non hiérarchisée dont chaque membre est unique et sans descendance. Des animaux qui ont l’air d’hommes : un chat gigolo, un moineau profiteur, un coq de la famille de don Juan (comme lui, il se nomme Tenório), un taureau manipulé, un mulet crédule, un chien sentimental, un merle philosophe, une cigale yogi, un crapaud gourou et un corbeau existentialiste portant le nom du patron de Lisbonne, qui ne se contente pas de clore l’histoire biblique mais en assure le détournement final. Mêlés à eux, trois humains qui ont l‘air d’animaux : Madalena met bas son fils dans un trou de rocher, senhor Nicolau l’entomologiste meurt en insecte, Ramiro le berger tue silencieusement comme les prédateurs de la montagne. Au milieu — juste au milieu — de cette anthropo-ménagerie, un enfant magicien.

 En outre, dans son arche personnelle, Miguel Torga n’a pas limité la présence vivante à l’animal et à l’humain. Curieusement, l’Éternel en colère, dans son souci de sauvegarde, avait omis le résultat de son troisième jour de création : le monde végétal et minéral. Dans l’Arche de Torga sont conservées, par nomination accumulative et détaillée, la végétation et toute une géographie provinciale. Vallées et monts, villages et hameaux, sources, mares et ruisseaux, et les petits chemins creusés dans le rocher " par des millénaires de sabots et de souliers cloutés ", autour de Sao Martinho de Anta, se trouvent ainsi préservés du seul déluge susceptible d’anéantir Trás-Os-Montes : le dépeuplement par exode ou émigration.

 Restait enfin à préserver le Verbe. Tout un parler lié aux travaux quotidiens de la montagne, une abondance de proverbes exprimant les mœurs et la morale sociale transmontana, des expressions que l’on ne trouve pas au dictionnaire et qui s’accumulent à pleine page dans cette Arche du portugais idiomatique. (Claire Cayron)