Éditions Corti

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Les Suicidés

Antonio di BENEDETTO | Ibériques (2011)
Traduit par Bernard Tissier

Un directeur d’agence de presse – le Chef – soumet à l’examen d’un de ses collaborateurs trois photos de suicidés ; sur deux d’entre elles les yeux expriment l’épouvante tandis que la bouche paraît s’être figée en une grimace de sombre jouissance.

L’histoire racontée par l’écrivain argentin Di Benedetto part de là, de ces deux photos insolites dont le Chef charge le journaliste d’élucider le mystère, lui confiant en outre la mission de dénicher d’autres cas de suicide en vue de constituer une série susceptible d’être vendue à des journaux et revues. Le journaliste (par ailleurs, protagoniste et narrateur-sans-nom du présent roman) a les qualités requises pour entreprendre pareille tâche. Il appartient à une famille dans laquelle le nombre de suicidés excède la dizaine. Le suicide est donc un thème qu’il connaît et qui le hante – hantise qu’il dorlote un tantinet.

Le narrateur ne travaille pas en solitaire. Voici quelques-unes des personnes qui l’assistent :
- Julia, sa maîtresse, institutrice de son état.
- Bibi, la bibliothécaire de l’agence de presse. Sa fièvre de collecter et cataloguer lui a valu le surnom de Fichier. De son propre mouvement, elle enquête sur le suicide selon l’époque, la culture, la religion… Mais pourquoi tant de paradoxale vitalité et d’enthousiasme dans l’étude de la mort volontaire ?
- Marcela, photographe de l’agence de presse, l’associée (imposée par le Chef) du narrateur dans cette exploration du monde des suicidés. Marcela, silencieuse, discrète, distante et lucide est une énigme que son partenaire est impuissant à déchiffrer.

Il suffit, pour en savoir plus, d’emboîter le pas à ces personnages et de se laisser conduire. On ne devrait pas avoir motif de le regretter car Di Benedetto est au sommet de son art. Son écriture est plus laconique et incisive que jamais. Écriture virtuose, elle mêle étroitement et audacieusement narration, dialogues directs et indirects et use de plusieurs registres : soutenu, familier, mélancolique, dramatique. Quant à l’ironie et à la causticité coutumières à l’auteur, elles s’exercent surtout aux dépens du narrateur-sans-nom. D’un égocentrisme sans faille, pataugeant dans une psychologie solipsiste, celui-ci est par essence un tricheur. Il triche avec lui-même et triche avec les autres.