Éditions Corti

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L’Album d’un pessimiste

Alphonse Rabbe | Domaine Romantique (1991)
Présenté par R. Roditi et J. R. Dahan

Qu'est-ce que “Alphonse Rabbe” pour l'honnête homme de la fin de ce siècle ? Un simple nom, sans doute, mais tout auréolé de la lumière noire des écrivains maudits et des suicidés de la société.

Plus qu’aucun autre romantique peut-être, Alphonse Rabbe est la souffrance incarnée. Le beau jeune homme débarquant à Paris, le causeur brillant et apprécié est devenu un mort vivant, défiguré par la maladie – une syphilis ramenée d’Espagne. Opiomane, il meurt à 45 ans, sans doute par suicide, acte qui préfigurait “l’explosion d’une âme généreuse, indignée du monde, fière de sa céleste origine et amoureuse de son immortelle dignité”. On publiera après sa mort, l’Album d’un pessimiste, véritable traité du désespoir que fera redécouvrir André Breton et que présente ici, dans le cadre de la Collection Romantique, Édouard Roditi. Dans une seconde partie, Jacques Remi Dahan nous propose un choix de documents et de correspondance (notamment avec Hugo et Constant) qui dessinent un portrait moins caricatural de l'écrivain.

Sa correspondance est bien plus éclairante que ses besognes de libraire, où il s’est usé. En post-scriptum de son testament n’a-t-il pas écrit : “Si ces Messieurs veulent chacun choisir un livre dans mes bouquins en mémoire de moi, ils me feront plaisir”. Le meilleur de son œuvre n’était pas publié. Hugo, qui fut son ami, avait compris qu’il fallait aller au-delà des apparences : “Ses paupières, ses narines, ses lèvres, étaient rongées ; plus de barbe et des dents de charbon. Il n’avait conservé que ses cheveux dont les boucles blondes flottaient sur ses épaules et un seul œil dont le ferme regard et le sourire ferme et franc jetaient encore un éclair de beauté sur ce masque hideux.”

La pensée et l’écriture, devenues son seul horizon, lui permettent de tenter d’apprivoiser le néant, et la mort qui l’en délivrera. Il est, avec Coleridge, de Quincey et Poe, l’un de ceux qui puiseront dans le laudanum leur déchéance et leur rédemption.