Éditions Corti

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À soi-même, journal

Odilon Redon, 1961 | Domaine français
Quatrième édition

J’ai fait un art selon moi. Je l’ai fait avec les yeux ouverts sur les merveilles du monde visible, et, quoi qu’on en ait pu dire, avec le souci constant d’obéir aux lois du naturel et de la vie. Je l’ai fait aussi avec l’amour de quelques maîtres qui m’ont induit au culte de la beauté.

L’art est la Portée Suprême, haute, salutaire et sacrée ; il fait éclore ; il ne produit chez le dilettante que la délectation seule et délicieuse, mais chez l’artiste, avec tourment, il fait le grain nouveau pour la semence nouvelle. Je crois avoir cédé docilement aux lois secrètes qui m’ont conduit à façonner tant bien que mal, comme j’ai pu et selon mon rêve, des choses où je me suis mis tout entier.

Si cet art est venu à l’encontre de l’art des autres (ce que je ne crois pas), il m’a fait cependant un public que le temps maintient, et jusqu’à des amitiés de qualité et de bienfait qui me sont douces et me récompensent.

Les notes que je formule ici aideront plus à la compréhension de cet art que tout ce que je pourrais dire de mes concepts et de ma technique. L’art participe aussi des événements de la vie. Ceci sera la seule excuse de parler uniquement de moi.

Odilon Redon



S'il n'avait pas été ce peintre du mystère, du rêve et des analogies révélatrices, il faudrait certainement compter Odilon Redon au nombre des meilleurs écrivains symbolistes voire des meilleurs écrivains tout court.



Poète autant que peintre, épris de musique, son imagination se renouvelle dans un perpétuel émerveillement. Il ne conçoit pas la beauté sans le mouvement et c'est ainsi qu'il donne à ses créatures les plus irréelles, nées de ses rêves comme celles de Gérard de Nerval, l'illusion de cette vie, par quoi il affirme son originalité.

Henry Hugault, Aspects de la France, 14 septembre 1961.


"Odilon Redon, disait Masson, est grand par son fantastique biologique. Il s'interesse aux phénomènes d'éclosion, de germination, ce qu'aucun peintre n'avait fait avant lui." La lecture des écrits de Redon confirme cette idée de croissance organique appliquée chez le peintre symboliste aux choses de l'esprit.

Comme son fantastique repose sur la "nostalgie des commencements" de la vie animale, son interprétation de l'art moderne répond à une forte nostalgie de la tradition ; il préfère l'épopée ou la légende à la prose "littéraire".

Les écrits de Redon sont indispensables pour la compréhension du peintre d'abord, mais aussi de cette grande époque de la peinture qui va du Salon des refusés de 1863 au triomphe de Cézanne, à l'éclatement du fauvisme.

Le Monde, 1er novembre 1979.