Éditions Corti

A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z

Ernest Thompson Seton

Ernest Thompson Seton (14 août 1860 - 23 octobre 1946), auteur canado-écossais (puis américain), très reconnu de son vivant, fut aussi artiste animalier, fondateur des Woodcraft Indians. Il fut sa vie durant ardent défenseur du monde sauvage et des Indiens - qui le nomment "The Chief". Son œuvre a fait l’objet au Japon de plusieurs adaptations en mangas et en séries d'animation.


Qui connaît aujourd’hui Ernest Thompson Seton, homme aux talents très divers, né en Angleterre en 1860, mort à Santa Fe en 1946 ? Artiste, naturaliste, auteur, réformateur, défenseur des Indiens et de leur mode de vie, défenseur de la nature et de tous ceux qui la peuplent. Seton aurait-il eu raison trop tôt ?

Sa famille, nombreuse – Seton est le douzième de quatorze enfants – émigre au Canada en 1866. Seton passe son enfance à Lindsay dans l’Ontario, puis à Toronto, où son goût pour la nature intouchée, la « wilderness », s’enracine. Dans son autobiographie, Trail of an Artist-naturalist (1940), il avoue avoir toujours ressenti le besoin de partir, comme s’il ne se sentait libre qu’en mouvement. Il entreprend de rédiger sa propre liste des oiseaux du Canada à quinze ans.

Il hait son père, autoritaire et égoïste, et s’échappe du domicile familial à la moindre occasion. Ses talents artistiques, son sens de l’observation, sa curiosité en font un élève à part. Il part à Londres pour entreprendre des études artistiques. Il y découvre la bibliothèque du British Museum.

N’ayant que dix-neuf ans, Seton ne peut y obtenir une carte de lecteur car son accès est réservé aux plus de vingt et un ans. Il écrit au Prince de Galles et à l’Archevêque de Canterbury, seules autorités à pouvoir lui octroyer une dispense. Il l’obtient. Il découvre alors les œuvres des grands pionniers – John Audubon, Alexander Wilson, Thomas Nuttal, H. D. Thoreau – comme celles des contemporains à travers les publications récentes de Spencer F. Baird, Elliot Coues, Robert Ridgway et John Burroughs. De retour aux États-Unis, il commencera à gagner sa vie grâce à ses dessins animaliers.

Lors d’un séjour dans le Manitoba chez un de ses frères, il prend conscience de la splendeur et de la variété de la faune comme de la flore mais aussi des menaces qui pèsent sur ce paradis, voué à disparaître à cause de l’homme. Seton passe ses journées à étudier la nature et s’initie aux signes, qu’il nommera « l’alphabet des bois » grâce auquel il reconstitue les comportements des animaux.

Lire la biographie complèteLire la biographie complète

Seton sent que la technologie va détruire toute « wilderness ». Tout en constatant l’inéluctabilité de ce « progrès », il regrette l’époque où Indiens et Bisons, chasseurs et chassés, vivaient en harmonie sur les plaines où une sorte d’équilibre naturel avait été trouvée entre tous. La nature stimulait les hommes dès lors qu’ils ne cherchaient ni à la conquérir, ni à la mettre à leur seul service. Seton est convaincu que, dans ce modèle occidental de développement, il faut inverser les rapports que l’homme entretient avec la nature.

Seton constate la justesse des théories de Frederick Jackson Turner. Cet historien américain fut le premier, dès 1893, à souligner l’importance de la frontière dans la construction de l’identité du peuple américain et à prédire que cette conquête de l’Ouest provoquerait des changements géographiques radicaux. Les nouveaux arrivants dans la région du Manitoba transforment ce qui était une prairie naturelle en un jardin paysager et agricole.

À son retour dans sa famille en 1887, son père – tyran égocentrique – avec lequel il ne s’est jamais entendu, lui présente une facture de 537,50 $. Il a, depuis la note du médecin qui l’avait accouché, soigneusement détaillé les dépenses occasionnées par son fils. E. T. Seton s’acquitte de cette dette et, avec le reste du pécule économisé, s’embarque pour Paris où il veut parachever ses études artistiques. Il tire le diable par la queue ce qui ne l’empêche pas de se rendre quotidiennement au jardin des Plantes pour étudier et dessiner les animaux. Il va à Fontainebleau ainsi qu’aux environs de Paris pour observer et étudier la faune. Il présente au grand salon une toile intitulée d’abord « Le triomphe des loups » puis « La vaine attente », en pensant que le jury, conservateur, serait moins choqué par ce titre car son tableau prend ouvertement le parti des loups contre les humains : des loups regardent l’horizon enneigé avec tranquillité, tandis qu’un autre mord à belles dents dans ce qui semble être un crâne qui, comme le reste de la carcasse de ce qui devait être un humain, paraît bien nettoyé.

C’est à Paris, étrangement, qu’il rencontre Virginia Fitz-Randolph. Son père, grand propriétaire du Nouveau-Mexique, lui propose de les y rejoindre pour le débarrasser d’une meute de loups qui déciment le bétail et dont personne n’est parvenu à venir à bout. Seton accepte ce nouveau travail – il a déjà été destructeur de coyotes et de loups au Canada – sans se douter qu’il changera le cours de son existence, ce dont le récit Lobo, le Seigneur de Currumpaw témoignera. De chasseur, voire tueur de loups, Seton se métamorphosera en protecteur.

Seton deviendra leur premier grand défenseur. Ce qu’il vivra comme une tragédie lui fera prendre conscience au moins de deux choses. Tout d’abord, si les loups s’attaquent aux moutons et au bétail, c’est bien parce que les hommes ont détruit leurs ressources traditionnelles (cerfs, bisons, antilopes) et qu’ils sont chassés de leur territoire. Un humain qui tue volontairement un animal sans nécessité de se nourrir est un assassin.

Seton sera véritablement métamorphosé par ce drame. Dans un essai de 1938 intitulé The Buffalo Wind (Le souffle du bison), il raconte que depuis son enfance, il a été sensible au son, au tremblement du vent qui témoignait d’une sorte de religion naturelle voire d’une expérience mystique, et grâce auquel il se sentait à l’unisson de la nature, un peu à la manière des Aztèques, ollin symbolisant chez eux le mouvement ou le tremblement qui précède le dernier soleil.

L’expérience de mue symbolisée par ce « souffle du bison » correspondant aux convictions les plus profondes de Seton sur la nature : tout est en mouvement, tout est recyclé pour devenir quelque chose d’autre, tout se trouve à l’unisson dans la nature vierge. De retour dans le Manitoba, Seton travaille pour le gouvernement. Il est pour la première fois un « naturaliste » officiel, et veut s’attaquer à un projet qui fera date : « Les oiseaux du Manitoba », première monographie sur le sujet. Il commence parallèlement à travailler à certaines des « histoires » d’animaux qu’il rassemblera et qui seront publiées sous forme de livre en 1898.

Il connaîtra aussitôt un grand succès public, deux millions d’exemplaires durant les vingt premières années du XXème siècle. Rudyard Kipling avouera que son Livre de la jungle a été influencé par sa lecture. Léon Tolstoï, quant à lui, affirmera n’avoir jamais lu auparavant « meilleure histoire de loups ».

Extrait de la postface de Bertrand Fillaudeau